À déjeuner, pendant que son frère et sa petite sœur prennent leur bon café, bien chaud, que fait le Moulin à paroles ? Le Moulin à paroles jase à tort et à travers. Sa Bonne a beau lui dire : « Mademoiselle Fanny, Mademoiselle Fanny, votre café va être immangeable ! » Mademoiselle Fanny continue ses discours interminables. Aussi les autres ont fini qu'elle n'a pas commencé. On ne peut pas faire deux choses à la fois. Melle Fanny a d'autant plus grand tort : 1° qu'elle n'aime pas à déjeuner seule, 2° qu'à force d'avoir attendu, son café refroidi se couvre d'une vilaine peau dont elle ne se soucie guère et que son déjeuner est tout gâté. Son estomac paiera pour sa langue. Voilà ce que c'est que d'être un petit Moulin à paroles. Au jeu, c'est la même chose : elle parle, elle parle, elle parle ! Et personne, pas même elle peut-être, ne saura jamais ce qu'elle a dit. Ses frères, ses petites camarades, ne voulant pas perdre en discours l'heure de la récréation, finissent pas se boucher les oreilles en lui disant qu'ils en ont assez, et trop et beaucoup trop, et qu'ils ne veulent plus rien entendre. Melle Fanny n'en continue pas moins à jacasser comme une pie. Ce que voyant, tous les enfants prennent le parti de se sauver pour aller jouer tranquillement bien loin d'elle. Ce n'est que quand ils ont disparu que le petit Moulin à paroles s'aperçoit qu'il moud ses paroles pour lui tout seul. Mais le Moulin à paroles trouve toujours à qui parler. Melle Fanny range sa poupée, sa ménagerie, tous ses jouets sur la table, et au lieu de se contenter d'adresser à cet auditoire les quelques petits mots bien sentis qui pourraient l'intéresser, elle lui tient des discours plus longs que ceux d'un avocat ou même d'un député. La vérité est que l'auditoire qu'elle a devant elle est le seul qui puisse l'écouter sans prendre la fuite. C'est l'heure de la promenade. Les frères et la sœur du Moulin à paroles sont déjà habillés ; la toilette de Melle Fanny n'est pas achevée. On ne peut pas l'attendre. Le Moulin à paroles restera à la maison – on part sans elle. Pourquoi Fanny a-t-elle préféré bavarder ? Demeurée seule, la pauvre Fanny descend au jardin et s'y trouve en tête-à-tête avec Monsieur Jacquot, le perroquet. L'impertinent Jacquot rit aux éclats en apercevant la petite mine déconfite du Moulin à paroles. « Sot oiseau ! lui dit Melle Fanny, sais-tu seulement pourquoi tu ris ? » « Oui ! Oui ! Oui ! MOULIN À PAROLES, oui ! Oui ! Oui ! » répond le perroquet. Melle Fanny est stupéfaite. Quoi ! Jacquot lui-même sait le vilain nom qu'elle a mérité... Faut-il qu'il l'ait entendu souvent répéter ! En se sauvant pour échapper à la gaieté agaçante de son perroquet, Fanny arrive jusqu'à la basse-cour. À sa vue le coq chante, les oies caquettent, les canards font kuan ! Kuan ! Les chiens hurlent, les chats miaulent, l'âne entonne son plus grand air, et la cigale elle-même se mêle à ce charivari. Assourdie, abasourdie, Fanny comprend alors qu'un défaut si désagréable dans les autres n'est pas bon à garder pour elle, et elle se promet d'étonner désormais le monde par sa réserve et son silence. C'en est fait, la gentille Fanny n'est plus bavarde.