Mort de l’aéronaute Pilâtre de Rozier. C’est entre Boulogne et Ambleteuse, sur une petite saillie formée par les falaises, à l’endroit où la rivière de Wimereux se jette dans la mer, que tombèrent et s’écrasèrent les infortunés Pilâtre de Rozier et Romain. Pilâtre de Rozier voulant aller de France en Angleterre et faire ainsi l’inverse de ce qu’avait fait Blanchard (C’est dans la forêt de Guînes que l’aéronaute Blanchard et le docteur anglais Gefferies sont descendus, le 7 janvier 1785, après avoir traversé le Pas-de-Calais. Une petite colonne, construite par les soins des habitants, à l’endroit même où l’aérostat a pris terre, atteste l’heureux succès de l’entreprise de Blanchard, qui, le premier, a osé traverser les mers dans une frêle nacelle suspendue au milieu des airs), vint établir à Boulogne son point de départ. Après avoir hésité longtemps sur le choix d’un local, il fixa enfin son ballon et ses appareils à la porte des Dunes qui sépare la haute ville de la basse ; son atelier était adossé au rempart près de la tourelle gauche, en sortant par la porte située vers la mer. On sait qu’à une certaine hauteur de l’atmosphère les courants d’air varient ; Pilâtre s’était dit : – Si je peux manœuvrer mon ballon à volonté, seulement dans la ligne verticale, je serai libre de prendre tel ou tel air de vent ; par conséquent de naviguer vers tel point de la boussole, que je voudrai. D’après ce raisonnement spécieux, il avait adapté au pôle inférieur de son ballon une montgolfière qu’il enflait pour s’élever et qu’il resserrait pour s’abaisser, au moyen d’un réchaud dans lequel il allumait du menu bois. Ce réchaud suspendu à une poulie, s’abaissait quand on voulait resserrer la montgolfière et en descendre. Pilâtre, depuis plusieurs mois, prolongeait son opération, retardait son départ et semblait ne vouloir jamais, faute de gaz, remplir son aérostat. Le 15 juin 1785 au matin, après avoir annoncé son ascension pour la cinquième ou la sixième fois, son ballon étant gréé, le peuple rassemblé et le vent essayé par des ballons perdus, cet infortuné physicien, comme par un pressentiment de la funeste issue de son entreprise, hésitait et semblait prêt à différer encore son expérience. Quelques railleries qui frappèrent son oreille, à travers des murmures confus, le déterminèrent enfin. Son compagnon de voyage et lui entrèrent donc dans la galerie de leur ballon, où, élevés à une certaine hauteur, les spectateurs les remarquèrent nonchalamment assis. Le ballon flottait sans majesté à quelques mètres au-dessus du faîte d’un bâtiment neuf qui se trouvait près de l’Esplanade. Pilâtre, pour s’élever, ranima le foyer de la montgolfière, et dépassa le bâtiment. À la hauteur d’environ 2 000 mètres le vent le portait à l’est et trop dans les terres ; le ballon ne fut qu’un instant au-dessus du détroit. Les aéronautes ne pouvant saisir la direction de l’Angleterre, ni varier librement leur position verticale pour choisir le rhumb convenable, ni s’aider assez de leur montgolfière pour changer la pesanteur spécifique de la machine résolurent de descendre sur le point qu’ils dominaient. Le foyer fut abaissé de douze mètres environ ; la montgolfière, distendue et flasque, semblait leur permettre une facile descente ; mais la surface du ballon moins comprimée, conservant presque toute son extension, les voyageurs remontaient contre leur gré. La soupape du pôle supérieur fut ouverte pour laisser échapper le gaz ; cette soupape dont le mécanisme était totalement en fer ou en acier, altérée par la longue stagnation du ballon sur le chantier, ne put manœuvrer librement. Quelqu’effort que fissent les voyageurs, elle resta tout-à-fait ouverte par un accident quelconque. Dans cette situation, le ballon perdait tout son gaz, une colonne obscure traçait sa ligne de descente, et cette descente devint si rapide, que le foyer suspendu sous la montgolfière et presque éteint se ranima ; des étincelles s’en détachèrent, et nageant dans l’air qui remplissait le ballon à mesure qu’il s’abaissait, quelques-unes se réunirent nécessairement sur cette colonne de gaz que vomissait le pôle supérieur. Bientôt il s’enflamma ; en moins d’une seconde le ballon fut en pièces ; les aéronautes étant abandonnés de toute leur pesanteur, l’accélération de leur chute n’eut plus de bornes que celle de la loi sur la descente des corps graves. Les malheureux, Pilâtre et Romain, tombant de 1 500 mètres de hauteur, vinrent s’écraser sur la pointe du Wimereux. Quelque rapide que fût l’instant qui sépara leur mort de l’inflammation du ballon, il suffit cependant pour frapper d’horreur la multitude qui avait suivi ces victimes. La consternation fut générale ; on accourut sur-le-champ à leur secours, mais tout était fini pour eux. Pilâtre avait été suffoqué dans sa chute ; il était mort avant le choc contre terre, sa physionomie paisible le disait ; mais Romain n’avait été tué qu’à terre ; son pouls battait encore et sa face était horriblement empreinte des douleurs de sa courte agonie. Les deux cadavres étaient moulus dans leur parties solides : ils avaient atteint la terre presque droits et sous un angle léger ; le tibia et le péroné fracturés près de l’articulation du pied avaient pénétré le sol ; le fémur était remonté au-dessus des hanches ; les côtes semblaient se recoucher les unes sur les autres ; les vertèbres lombaires étaient disjointes. Nous ne prolongerons pas ici le détail affligeant et pénible d’un tableau d’autant plus déchirant pour le public, que ce même public avait en quelque sorte forcé la volonté de l’infortuné Pilâtre au moment même de son hésitation pour le départ. La cause de cette chute n’a rien de commun avec un phénomène électrique, comme on s’était d’abord hâté de l’annoncer. C’est à l’alliance des deux moyens qu’avait voulu réunir Pilâtre pour diriger son ballon qu’il a dû le titre de victime du nouvel art qu’il cherchait à perfectionner. C’est ainsi que presque toujours chez les hommes, l’individu paie la gloire qu’acquiert l’espèce. Pilâtre et Romain ont été inhumés dans le cimetière de Wimille, à quelque distance du point de leur chute ; un monument élevé sur le mur qui borde la grand route de Boulogne à Calais indique le lieu de leur sépulture. Ce monument n’est ni soigné, ni d’un bon style ; mais il est vénérable en ce que les mains de l’amitié seule l’ont élevé.