Mais comment apprendre à dessiner ? L’éducation qui suffit à peine à faire le moindre bachelier dure dix années ; dix ans passés sous la férule et sur les bancs donnent à peine au commun des écoliers l’intelligence sommaire des écrivains de l’antiquité. Où prendre le temps nécessaire à ce long apprentissage du dessin dans lequel les plus grands maîtres ont consumé leur vie entière, et cela dans l’absence de toute méthode ? Il n’en existe réellement aucune pour apprendre le dessin ; l’écolier en peinture ne trouve ni dans les livres, ni même dans les conseils d’un maître, l’analogue du rudiment et de la syntaxe. Le maître le meilleur, et ce sera celui qui laissera de côté toutes ces vaines pratiques dont la routine a fait une habitude, ce maître-là ne pourra que placer devant les yeux de son élève un modèle, en lui disant de le copier comme il peut. La connaissance de la nature, fruit d’une longue expérience, donne aux peintres consommés une sorte d’habitude dans les procédés qu’ils emploient pour rendre ce qu’ils voient ; mais l’instinct demeure encore pour eux un guide plus sûr que le calcul. C’est ce qui explique comment les grands maîtres ne se sont point arrêtés à donner des préceptes sur l’art qu’ils pratiquaient si bien ; l’intervention du dieu sur lequel ils comptaient tous leur a paru sans doute le meilleur de tous les conseillers ; presque tous, ils ont dédaigné de laisser au moins quelques conseils écrits, quelques traditions de la pratique matérielle. Albert Dürer n’a traité que des proportions : ce sont des mesures prises mathématiquement en partant d’une base arbitraire, et ce n’est pas là le dessin. Léonard de Vinci, au contraire, dans son Traité de Peinture, n’invoque presque que la routine ; nouvelle preuve à l’appui de nos assertions. Ce génie universel, ce grand géomètre, n’a fait de son livre qu’un recueil de recettes.