Cependant, aux lieux où la rive donne un accès facile, une foule dévastatrice fouille en tous sens les abîmes du fleuve. Pauvre poisson, hélas ! que protégeront mal ses retraites profondes ! Un pécheur, traînant au loin en pleine eau ses lins humides, balaye des essaims de poissons qui se prennent en ses mailles noueuses. Un autre, à l’endroit où le fleuve promène des flots paisibles, étend ses filets qui flottent avec leurs signaux de liège. Celui-là, du haut d’un rocher, se penche sur l’onde, incline la tige courbée d’une verge flexible, et lance ses hameçons garnis d’amorces mortelles. Ignorant le piège, le peuple errant des eaux s’y précipite en ouvrant une gueule avide, et sa mâchoire béante a senti, mais trop tard, la piqûre du fer caché. Le blessé se débat : ce mouvement le trahit à la surface ; par secousses la soie tremble, et le roseau qu’elle agite obéit et se balance. Aussitôt la main de l’enfant tire obliquement sa proie, et l’arrache d’un coup de sa ligne qui déchire l’air en criant. Ce bruit frappe l’écho qui le répète, comme parfois les sons brisés du fouet qui claque dans l’espace et fait siffler les airs qu’il ébranle. L’humide butin sautille sur la roche aride, redoutant les traits mortels de la lumière du jour. Ce poisson, que sa vigueur soutenait dans son fleuve, s’affaiblit au dehors, et notre air qu’il aspire consume bientôt sa vie. Déjà son corps épuisé bat le sol de palpitations moins vives : déjà retombent les derniers tremblements de sa queue engourdie ; ses lèvres ne se ferment plus, et l’air que sa gueule béante avait absorbé, ses branchies le rejettent en exhalant le souffle de la mort. Ainsi quand le soufflet allume les feux d’une forge, le tampon de laine, qui joue dans sa prison de hêtre, reçoit et repousse le vent toux à tour. J’ai vu des poissons, palpitant déjà près de mourir, recueillir leurs forces, se soulever d’un bond, et s’élancer pour retomber dans le fleuve, où ils retrouvaient un élément qu’ils n’espéraient plus revoir. Et l’enfant, qui regrette sa proie, se précipite étourdiment du haut de la rive, et tente follement de la ressaisir à la nage. Ainsi Glaucus d’Anthédon, dans les mers de Béotie, après avoir goûté les mortels herbages de Circé, cueillit des plantes que ses poissons mourants avaient touchées, et s’élança dans l’océan de Carpathos, sa nouvelle patrie. Ce pêcheur, si redoutable par ses hameçons et ses filets, qui fouillait les abîmes de Nérée, qui balayait les vagues de Téthys, cet écumeur de mer s’en vint nager lui-même au milieu de ces légions, naguère ses captives. Tels sont les tableaux qui se déroulent sur la longue étendue des eaux, à la vue des villas qui penchent suspendues à la crête des rochers. Le fleuve errant les divise, en promenant ses replis sinueux au milieu d’elles ; et, de chaque côté, des châteaux décorent ses rivages.