Nous avons des bonnes fortunes Avec le bleuet dans les blés ; Les halliers pleins de pâles lunes Sont nos appartements meublés. Nous y trouvons sous la ramée, Où chante un pinson, gai marmot, De l’eau, du vent, de la fumée, Tout le nécessaire, en un mot. Nous ne produirions rien qui vaille Sans l’ormeau, le frêne et le houx ; L’air nous aide, et l’oiseau travaille À nos poëmes avec nous. Le pluvier, le geai, la colombe, Nous accueillent dans le buisson, Et plus d’un brin de mousse tombe De leur nid dans notre chanson. Nous habitons chez les pervenches Des chambres de fleurs, à crédit ; Quand la fougère a, sous les branches, Une idée, elle nous la dit. L’autan, l’azur, le rameau frêle, Nous conseillent sur les hauteurs, Et jamais on n’a de querelle Avec ces collaborateurs. Nous trouvons dans les eaux courantes Maint hémistiche, et les lacs verts, Les prés généreux, font des rentes De rimes à nos pauvres vers. Mon patrimoine est la chimère, Sillon riche, ayant pour engrais Les vérités, d’où vient Homère, Et les songes, d’où sort Segrais. Le poëte est propriétaire Des rayons, des parfums, des voix ; C’est à ce songeur solitaire Qu’appartient l’écho dans les bois. Il est, dans le bleu, dans le rose, Millionnaire, étant joyeux ; L’illusion étant la chose Que l’homme possède le mieux. C’est pour lui qu’un ver luisant rampe ; C’est pour lui que, sous le bouleau, Le cheval de halage trempe Par moment sa corde dans l’eau. Sous la futaie où l’herbe est haute, Il est le maître du logis Autant que l’écureuil qui saute Dans les pins par l’aube rougis. Avec ses stances, il achète Au bon Dieu le nuage noir, L’astre, et le bruit de la clochette Mêlée aux feuillages le soir. Il achète le feu de forge, L’écume des écueils grondants, Le cou gonflé du rouge-gorge Et les hymnes qui sont dedans. Il achète le vent qui râle, Les lichens du cloître détruit, Et l’effraction sépulcrale Du vitrail par l’oiseau de nuit. Et l’espace où les souffles errent, Et, quand hurlent les chiens méchants, L’effroi des moutons qui se serrent L’un contre l’autre dans les champs. Il achète la roue obscure Du char des songes dans l’horreur Du ciel sombre, où rit Épicure Et dont Horace est le doreur. Il achète les rocs incultes, Le mont chauve, et la quantité D’infini qui sort des tumultes D’un vaste branchage agité. Il achète tous ces murmures, Tout ce rêve, et, dans les taillis, L’écrasement des fraises mûres Sous les pieds nus d’Amaryllis. Il achète un cri d’alouette, Les diamants de l’arrosoir, L’herbe, l’ombre, et la silhouette Des danses autour du pressoir. Jadis la naïade à Boccace Vendait le reflet d’un étang, Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse, Pour un sonnet, payé comptant. Le poëte est une hirondelle Qui sort des eaux, que l’air attend, Qui laisse parfois de son aile Tomber des larmes en chantant. L’or du genêt, l’or de la gerbe, Sont à lui ; le monde est son champ ; Il est le possesseur superbe De tous les haillons du couchant. Le soir, quand luit la brume informe, Quand les brises dans les clartés Balancent une pourpre énorme De nuages déchiquetés, Quand les heures font leur descente Dans la nue où le jour passa, Il voit la strophe éblouissante, Pendre à ce décroche-moi-ça. Maïa pour lui n’est pas défunte ; Dans son vers, de pluie imbibé, Il met la prairie ; il emprunte Souvent de l’argent à Phœbé. Pour lui le vieux saule se creuse. Il a tout, aimer, croire et voir. Dans son âme mystérieuse Il agite un vague encensoir.