Au bout de quelque temps, Ulespiègle alla avec sa mère dans un village voisin... Il y but tant qu’il s’enivra, et après il chercha un endroit où il put cuver son vin sans être dérangé. Il vit dans la cour plusieurs ruches d’abeilles, et des ruches vides à côté. Il se glissa dans une de ces dernières, qui était tout près des ruches pleines, se proposant de dormir un peu, et il s’endormit si bien que de midi jusqu’à minuit il ne se réveilla pas. Sa mère, ne le trouvant pas, pensa qu’il était retourné à la maison. Pendant la nuit vinrent deux voleurs qui voulaient voler une ruche d’abeilles. L’un dit à l’autre : J’ai toujours entendu dire que les ruches les plus lourdes sont les meilleures. Ils se mirent à soulever les ruches l’une après l’autre, et quand ils vinrent à celle où était Ulespiègle, ils trouvèrent que c’était la plus lourde, et dirent : Voilà la meilleure. Ils la prirent et l’emportèrent. Cependant Ulespiègle s’était réveillé et avait entendu leurs propos. La nuit était si obscure qu’ils se voyaient à peine l’un l’autre. Ulespiègle sortit la main de la ruche, et prit celui qui marchait devant par les cheveux et les lui tira rudement. Notre homme pensa que c’était un tour de son camarade, et se mit à lui dire des injures et l'autre lui répondit : Es-tu fou, ou rêves-tu ? Comment pourrais-je te tirer les cheveux, alors que je peux à peine, de mes deux mains, soutenir la ruche ? Til, voyant que sa plaisanterie réussissait, se mit à rire en lui-même ; puis il attendit encore quelque temps, et se mit à tirer vivement les cheveux à celui qui venait par derrière. Celui-ci se mit en colère, et dit : Je m’éreinte à porter la ruche, et tu me tires les cheveux à m’arracher la peau du crâne ! Tu en as menti par la gorge, répliqua l’autre. Comment pourrais-je te tirer les cheveux ? Je peux à peine voir le chemin devant moi. C’est toi qui me tires les cheveux, je le sais bien. Ils continuèrent leur chemin en se disputant. Bientôt après, comme ils étaient au plus fort de leur dispute, Ulespiègle saisit celui qui marchait devant par les cheveux, et tira si fort qu’il lui fit incliner la tête jusque sur la ruche. Celui-ci entra dans une telle fureur qu’il laissa tomber le bout de la ruche qu’il tenait, et se mit à battre son camarade à coups de poing sur la tête. L’autre laissa aussi la ruche et prit le premier aux cheveux. Ils se culbutèrent et firent si bien qu’ils se trouvèrent séparés, et, ne se voyant plus l’un l’autre, s’en allèrent chacun de son côté. Voyant cela, Til Ulespiègle se remit à dormir dans sa ruche. Il en sortit quand il fut grand jour, et, ne sachant où il était, il prit un chemin qui s’offrit à lui, et arriva à un château, où il s’engagea comme page.