En quittant Marbourg, Ulespiègle se rendit à Prague, en Bohême. Il se donna là pour un grand maître, capable de résoudre les questions que les autres maîtres ne pouvaient décider. Il fit faire une affiche et la fit placarder aux portes des églises et des collèges. Cela fâcha le recteur, les professeurs, les docteurs, les maîtres et toute l’Université, qui se réunirent pour tenir conseil ; ils décidèrent de poser à Ulespiègle des questions auxquelles il ne pourrait répondre, de façon à ce que, s’il répondait mal, ils pussent le confondre et lui faire honte. Il fut ainsi entre eux accordé et consenti, convenu et ordonné, que le recteur poserait les questions, et ils firent prévenir Ulespiègle par leur appariteur qu’il eût à se présenter le lendemain pour répondre devant toute l’Université aux questions qui lui seraient posées, de façon à ce qu’on pût l’éprouver et reconnaître sa science, sans quoi il ne serait pas admis. À cela Ulespiègle répondit : Dis à ton maître que je ferai en sorte de supporter l’épreuve vaillamment, comme j’ai fait jusqu’à présent. Le lendemain, tous les docteurs et savants se réunirent. Ulespiègle arriva, amenant avec lui son hôte, quelques autres bourgeois et plusieurs bons compagnons, de peur d’être assailli par les étudiants. Quand il entra dans l’assemblée, on lui dit de monter en chaire et de répondre aux questions qui lui seraient soumises. Pour première question, le recteur lui demanda de dire exactement la quantité de tonneaux d’eau qui était contenue en la mer, ajoutant que, s’il ne pouvait résoudre la question, ils le condamneraient et le puniraient comme un ignorant contempteur de la science. À cela il répondit promptement : Digne seigneur recteur, faites arrêter les autres eaux qui se rendent de tous côtés dans la mer, et je mesurerai ensuite et vous dirai la vérité de la chose, car cela n’est pas difficile. Il était impossible au recteur d’arrêter les eaux. En conséquence il abandonna la question et le tint quitte de mesurer. Le recteur fut humilié ; il fit sa seconde question et dit : Dis-moi combien de jours il s’est écoulé depuis le temps d’Adam jusqu’à présent. Il répondit : Seulement sept jours, et à l’avenir il s’écoulera également sept jours, et cela durera jusqu’à la fin du monde. Le recteur lui adressa sa troisième question : Dis-moi sans délai où se trouve le milieu de la terre ? C’est ici-même, répondit-il, qu’est exactement le milieu de la terre ; et si vous ne le croyez pas, faites mesurer avec une ficelle ; s’il s’en manque de l’épaisseur d’un cheveu, je veux avoir tort. Le recteur aima mieux retirer sa question que de faire mesurer, et il fit sa quatrième question tout en colère en disant : Dis-moi la distance qu’il y a de la terre au ciel. Elle n’est pas grande, répondit Ulespiègle ; quand on parle ou qu’on appelle d’ici, cela s’entend dans le ciel. Montez-y, et je crierai d’ici tout doucement ; vous entendrez de là-haut. Si vous n’entendez pas, je veux encore avoir tort. Le recteur était vaincu. Il fit sa cinquième question, et demanda quelle était l’étendue du ciel. Ulespiègle répondit sans hésiter : Il est large de mille brasses et haut de mille coudées, ni plus ni moins. Si vous ne le croyez pas, prenez le soleil, la lune et les étoiles, et mettez-les de côté ; puis mesurez exactement le ciel, et vous verrez que j’ai raison, quoique vous n’alliez pas là volontiers. Qu’avaient-ils à dire ? Ulespiègle avait réponse à tout, et ils furent contraints de lui donner raison. Quand il eut vaincu les docteurs par sa malice, il ne demanda pas son reste. Il avait peur qu’ils ne lui donnassent quelque chose à boire qui tournât à sa honte. C’est pourquoi il planta là la robe longue, et quitta la place et s’en alla à Erfurt.