Un autre martyr de l’aérostation est le comte François Zambeccari, de Bologne, dont les ascensions furent marquées par les plus étranges et les plus émouvantes péripéties. Le comte Zambeccari s’était consacré de bonne heure à l’étude des sciences. À vingt-cinq ans, il avait pris du service dans la marine d’Espagne ; mais il eut le malheur, en 1787, pendant le cours d’une expédition contre les Turcs, d’être pris avec son bâtiment. Il fut envoyé au bagne de Constantinople, et il languit pendant trois ans dans cet asile du malheur. Au bout de ce temps, il fut mis en liberté sur les réclamations de l’ambassade d’Espagne. Pendant les loisirs de sa captivité, Zambeccari avait étudié avec beaucoup de soin la théorie de l’aérostation ; de retour à Bologne, il composa un petit ouvrage sur cette question, et il soumit son livre à l’examen des savants de son pays. Ses travaux furent jugés dignes d’être appuyés par le gouvernement, qui mit des sommes considérables à sa disposition pour lui permettre de continuer ses recherches. Il parait que Zambeccari avait ajouté à l’appareil aérostatique une lampe à esprit de vin, dont il pouvait augmenter ou diminuer à volonté la flamme ; il espérait, à l’aide de ce moyen, diriger sa machine une fois qu’elle se trouverait tenue en équilibre dans l’atmosphère. Une première ascension, faite avec l’aérostat pourvu de cette lampe, eut le plus triste résultat. Les préparatifs du voyage n’ayant été terminés que vers minuit, c’est à cette heure avancée que Zambeccari se lança dans l’air avec deux de ses compatriotes, Andreoli et Grassetti. Emporté d’abord à une hauteur extrême après vingt-quatre heures passées à jeun, Zambeccari tomba à demi-mort dans la nacelle entre ses deux compagnons, dont un seul, Andreoli, fortifié par un bon repas, resta éveillé. Vers deux heures du matin, Zambeccari reprit cependant connaissance ; en ce moment, le ballon commençait à descendre avec une rapidité effrayante. Il fallut jeter la lampe à esprit de vin et toutes les provisions inutiles ; mais alors les voyageurs, dont la lanterne s’était éteinte, se trouvèrent dans une obscurité complète, et le ballon n’en continua pas moins, quoique avec lenteur, son mouvement de descente. Quand, après de longs efforts, les aéronautes eurent pu rallumer leur lanterne, il était trois heures. Le ballon descendait toujours, et un bruit terrible, le bruit des vagues, ne tarda pas à avertir Zambeccari et ses compagnons qu’ils tombaient dans la mer Adriatique. Bientôt en effet la nacelle toucha les vagues ; en cet instant suprême, ayant jeté leurs derniers sacs de lest et jusqu’à leurs vêtements, les voyageurs furent de nouveau emportés à une hauteur telle que leur corps fut recouvert en quelques secondes d’une couche de glace. Pendant une demi-heure, la machine flotta dans ces espaces ténébreux et glacés, puis elle redescendit et retomba dans la mer. Heureusement le ballon à demi gonflé empêcha la nacelle de s’enfoncer complètement, et les voyageurs, traînés, ballottés par cette voile d’une nouvelle espèce, arrivèrent, après quelques heures d’une inexprimable angoisse, en vue de Pezzaro, vers le lever du jour. Ils n’étaient pas cependant au bout de leurs peines : les bâtiments auxquels ils demandaient du secours s’éloignaient tous de cette bizarre machine, qui épouvantait leurs matelots. Enfin il se trouva un navigateur pour venir en aide aux malheureux naufragés : on attacha une corde à la nacelle, on la hissa sur une chaloupe ; quant au ballon, on coupa le câble qui l’attachait à la nacelle, car les mouvements de ce vaste globe menaçaient de faire échouer le bâtiment, et on le vit alors remonter vers les nuages avec une rapidité prodigieuse.