La plus intime impulsion donnée à l’utopie fouriériste, il faut la voir dans l’apparition des machines. Le phalanstère devait ramener les hommes à un système de rapports où la moralité n’a plus rien à faire. Néron y serait devenu un membre plus utile de la société que Fénelon. Fourier ne songe pas à se fier pour cela à la vertu, mais à un fonctionnement efficace de la société dont les forces motrices sont les passions. Par les engrenages des passions, par la combinaison complexe des passions mécanistes avec la passion cabaliste, Fourier se représente la psychologie collective comme un mécanisme d’horlogerie. L’harmonie fouriériste est le produit nécessaire de ce jeu combiné. Fourier insinue dans le monde aux formes austères de l’Empire, l’idylle colorée du style des années trente. Il met au point un système où se mêlent les produits de sa vision colorée et de son idiosyncrasie des chiffres. Les « harmonies » de Fourier ne se réclament en aucune manière d’une mystique des nombres prise dans une tradition quelconque. Elles sont en fait directement issues de ses propres décrets : élucubrations d’une imagination organisatrice, qui était extrêmement développée chez lui. Ainsi il a prévu la signification du rendez-vous pour le citadin. La journée des habitants du phalanstère s’organise non pas de chez eux, mais dans des grandes salles semblables à des halls de la Bourse, où les rendez-vous sont ménagés par des courtiers. Dans les passages Fourier a reconnu le canon architectonique du phalanstère. C’est ce qui accentue le caractère « empire » de son utopie, que Fourier reconnaît lui-même naïvement : « L’état sociétaire sera dès son début d’autant plus brillant qu’il a été plus longtemps différé. La Grèce à l’époque des Solon et des Périclès pouvait déjà l’entreprendre. » Les passages qui se sont trouvés primitivement servir à des fins commerciales, deviennent chez Fourier des maisons d’habitation. Le phalanstère est une ville faite de passages. Dans cette « ville en passages » la construction de l’ingénieur affecte un caractère de fantasmagorie. La « ville en passages » est un songe qui flattera le regard des parisiens jusque bien avant dans la seconde moitié du siècle. En 1869 encore, les « rues galeries » de Fourier fournissent le tracé de l’utopie de Moilin Paris en l’an 2000. La ville y adopte une structure qui fait d’elle avec ses magasins et ses appartements le décor idéal pour le flâneur. Marx a pris position en face de Carl Grün pour couvrir Fourier et mettre en valeur sa « conception colossale de l’homme ». Il considérait Fourier comme le seul homme à côté de Hegel qui ait percé à jour la médiocrité de principe du petit bourgeois. Au dépassement systématique de ce type chez Hegel correspond chez Fourier son anéantissement humoristique. Un des traits les plus remarquables de l’utopie fouriériste c’est que l’idée de l’exploitation de la nature par l’homme, si répandue à l’époque postérieure, lui est étrangère. La technique se présente bien plutôt pour Fourier comme l’étincelle qui met le feu aux poudres de la nature. Peut-être est-ce là la clé de sa représentation bizarre d’après laquelle le phalanstère se propagerait « par explosion ». La conception postérieure de l’exploitation de la nature par l’homme est le reflet de l’exploitation de fait de l’homme par les propriétaires des moyens de production. Si l’intégration de la technique dans la vie sociale a échoué, la faute en est à cette exploitation.