Il s'appelle Claude Petitjean et profite de sa retraite, entre deux aquarelles, pour grainer inlassablement des plaques de cuivre qui lui serviront de support de gravure pour les portraits et paysages qu'il engrange au fil de ses clichés photographiques et de ses randonnées pédestres. Son compagnon de galère s'appelle joliment le berceau : il faut le balancer d'avant en arrière pour percer des trous minuscules, régulièrement espacés, avec une précision toute mécanique, verticalement, horizontalement, et diagonalement dans les deux sens jusqu'à ce que la plaque, parfaitement lisse au départ, soit quasiment pixellisée en creux. On nomme cette phase le grainage mais aussi le berçage. Il s'appelait Léo Drouyn, il a vécu et travaillé en bordelais au XIXème siècle et donné ses lettres de noblesse au provincialisme. Il a réussi à réconcilier, pour un temps, artistes et archéologues, en se pliant à la discipline de la reproduction sur plaque de cuivre de monuments et de paysages du sud-ouest, cinquante ans avant les clichés photographiques. Cet auto-portrait de Léo Drouyn date de 1861. Le quadrillage est une aide à la reproduction du contour. Après le tracé à main levée, l'artiste se munit du brunissoir qui permet de revenir à l'état initial de la plaque de cuivre en écrasant peu à peu les grains en relief, en fonction de l'éclaircissage attendu. Tout l'art repose dans les nuances et les dégradés de gris recherchés. Cette étape de la gravure, longue et minutieuse, est un véritable jeu de cache-cache avec la lumière que l'artiste essaie de prendre au piège des alternances plus ou moins denses de grains, conservés ou non. L'image recherchée semble surgir, lentement, de l'ombre. Et voilà la gravure de la plaque de cuivre terminée. On est bien loin de la photocopie : la fidélité au modèle est allée au-delà, d'artiste à artiste, pour nous communiquer un message que chacun de nous recueille à sa façon, dans le froncement de sourcils, que sais-je ? La suite n'est qu'un jeu d'enfant, c'est la phase de l'encrage avec des mélanges d'encres tiédies, lentement frottés à l'aide de tampons de tarlatane imbibés, sur toute la surface de la plaque de cuivre. Magique ? non, technique ! technique la position de la plaque sur la presse, au millimètre près ; technique le degré d'humidité du papier support et sa position au-dessus de la plaque, au millimètre près ; technique le roulement de la grande manivelle, comme un volant de paquebot. Mais le résultat, oui, magique ! et comme disent les enfants, "Maitre, c'est à l'envers !"