– Bonsoir, dit Ferme-l’Œil. Hialmar le salua, puis il courut au mur et tourna le portrait de son bisaïeul, pour qu’il ne se mêlât point comme la veille à la conversation. – Tu peux maintenant raconter tes histoires. Raconte-moi les cinq petits pois qui habitaient une cosse, et la grosse aiguille qui se croyait aussi fine qu’une aiguille à broder. – Non, il ne faut pas abuser : le bien même peut fatiguer, dit Ferme-l’Œil. Tu sais bien que j’aime beaucoup à te montrer du nouveau : ce soir je vais te montrer mon frère. Il s’appelle comme moi Ferme-l’Œil ; mais il ne rend jamais qu’une seule visite à une personne. Il emmène sur son cheval celui qu’il a visité et lui raconte des histoires. Il n’en connaît que deux : l’une est si admirablement jolie que personne au monde ne peut s’en faire une idée. L’autre est si vilaine et si terrible que c’est incroyable. Et alors Ferme-l’Œil leva le petit Hialmar jusqu’à la fenêtre et dit : – Là, tu verras mon frère, l’autre Ferme-l’Œil ; on l’appelle aussi la Mort. Vois-tu ? Il n’est pas aussi laid qu’on le représente dans les livres d’images où il n’est qu’un squelette. Non, il a des broderies d’argent sur son habit, il porte un bel uniforme de hussard, un manteau de velours noir flotte derrière lui sur son cheval. Regarde comme il avance au grand galop. Hialmar vit comment le frère de Ferme-l’Œil s’avançait en faisant monter sur son cheval une quantité de personnes jeunes et vieilles ; il en plaça quelques-unes devant lui, d’autres derrière ; mais il commençait toujours par leur dire : – Voyons votre cahier ; vos notes, quelles sont-elles ? – Très-bonnes, répondirent toutes les personnes. – Je veux voir moi-même, dit-il. Et alors elles furent obligées de lui montrer leurs notes. Et tous ceux qui avaient bien ou très-bien furent placés sur le devant du cheval, et ils entendirent les histoires les plus admirables. Mais ceux qui avaient passable ou mal montèrent sur le derrière et furent forcés d’écouter les histoires les plus horribles. Ils tremblaient et pleuraient, et voulaient sauter en bas du cheval ; mais ils ne pouvaient pas, car ils y étaient comme attachés. – Cependant, Ferme-l’Œil, ton frère la Mort me paraît magnifique ; je n’ai pas peur de lui. – Et tu as bien raison, dit le petit elfe : seulement tâche d’avoir toujours de bonnes notes sur ton cahier. – Voilà qui est instructif ! murmura le portrait du bisaïeul. Il est donc quelquefois utile de dire franchement son opinion. Et il parut satisfait. Telle est l’histoire du petit elfe Ferme-l’Œil, cher petit lecteur ; s’il revient ce soir, il t’en racontera davantage.